Δευτέρα 1 Ιουνίου 2015

Haris MORIKIS, psychanalyste

Code Bleu 
de Yannis Vaitsaras

La rationalité est un excellent outil pour la connaissance, mais si  elle se limite à elle-même, à des événements, ou simplement à ce que reçoivent les sensations, devient alors aveugle quant aux choses psychiques.

Une sorte de handicap de plus en plus aiguisé et diffus caractérise les hommes modernes, se gonfle à travers l'apothéose de la technologie,  de l'efficacité, de l’intérêt matériel, et apparaît comme une énorme difficulté ou inconfort dans le contact avec eux-mêmes et avec les autres.

C’est cette incapacité qu’essaie d’enlever notamment la psychanalyse, mais aussi la littérature, en valorisant des paysages de l'âme : éclairer et mettre en évidence ce qui n’est pas visible. Lorsque la littérature et la psychanalyse se rencontrent, le résultat peut être admirable, comme dans le cas de ce livre.

Car un système sensationnel, la parole, le langage, prouve qu’il ne se limite pas à sa valeur utilitaire communicative, mais véhicule le sens psychique, crée ou refait un monde. Ce miracle, qui équivaut à une expérience de transformation, est réalisé par des mots, soit dans le processus psychanalytique soit par la littérature.

Nous nous trouvons donc ici pour rencontrer les grands destins des mots. Ils partent de l'abîme de l'inconscient, le matériau bouillonnant de l'âme. Ils suivent un chemin orageux pour atteindre la filtration représentant la raison et la conscience. Souvent cette voie est contournée, alors les mots coulent dans un discours gravé de leur identité d'origine.

Cette dynamique nucléaire, c’est à dire celle de l’inconscient, secoue  le destinataire ne le laissant pas indifférent. C’est le cas de la parole, qui a quelque chose à dire, au-delà de l'information. C’est le cas de la psychanalyse mais aussi de la littérature, deux entités  qui partagent le lit inconscient de la parole.

Des matériaux hétérogènes se trouvent dans ce flot de mots. Toutes les nuances de noir, toute la palette de la lumière. Parce que cette rivière, est constamment alimentée par deux courants concurrentiels qui déterminent non seulement ce que nous disons, mais ce que nous faisons et ce que nous sommes. Ce sont les forces de la vie ou de l'amour et de la mort ou de la destruction.
Y a-t-il un rapport avec le livre? Ce livre est à la fois tout cela. Avec sa substance matérielle le livre est placé, du côté des forces de la vie et de la création. Mais en plus, ce livre, précisément, les défend.

Même si son contenu thématique  se trouve dans le camp opposé, celui de la mort. Des versions de la mort se déroulent dans ses pages, toutes sortes de pertes  hantent les protagonistes, elles immobilisent momentanément le héros principal, le psychanalyste.

La mort devient le centre autour duquel gravite son existence pour un temps, menacé de faire un trou noir qui va tout engloutir. Celui qui est en deuil est poussé par un courant qui l’amène à une situation où "la nuit alterne avec la nuit."

Cet état de choses constitue un terrain fertile pour faire pousser la fleur du mal, la pathologie. Parce que la séparation est impossible pour certaines personnes, elle n’est pas réalisable psychiquement. Et ce qui n’est pas  assimilé vient envenimer et infecter progressivement et imperceptiblement tant la vie mentale que la vie externe. La séparation au cours de la vie est comme la mort. Cependant, la vraie mort, elle, elle est beaucoup plus exigeante, quant au travail psychique. Ce dernier doit être enregistré dans la sphère interne, et cette inscription doit être lisible par le sujet. Car, comme le disent les textes patristiques, la mort est un scandale.

Cette expérience ne rentre pas dans des mots. Elle se place en dehors de l'expérience «au delà du naturel». Notre propre mort, ne peut pas être représentée psychiquement, et reste donc une condition inconnue, ce qui nous rend difficile l’acceptation de la mort comme un événement.

Mais la mort des autres, en tant qu'expérience obligée, est une perte de parties de nous-mêmes, de résidents qui nous habitent intérieurement. Quelque chose de douloureusement notre se perd, et nous sommes appelés soit à l’accepter, soit à le refuser.
Mais, ce refus équivaut à la dépression ou la folie, car il entraine peu à peu le reste de la réalité.

L’ombre de la personne perdue, tombe lourdement sur le moi de l’endeuillé, épuisant toute lumière. La perte est une horrible blessure de couteau,  lamentable à voir, qui défigure le visage de celui qui la voit, car il s’identifie avec elle temporairement, dans la première phase du deuil.
L’endeuillé est une personne difficile à vivre pour les autres, parce que sa propre vie est difficile. En fait, en essayant de survivre psychiquement, il essaie de contrôler l’hémorragie interne. L'auteur parle de «deuil exécrable", décrivant, d’une façon nullement exécrable, ce processus douloureux, qui est une affaire «strictement personnelle».

Sur ce point, cependant, (et c’est le noyau et le grand mérite de ce livre), une grande transformation survient, dont responsable est la création artistique, à savoir l'art de l’écriture. Cette affaire, la création la plus privée et personnelle, à travers le processus psychanalytique, mais aussi artistique, qu'il apporte, se transforme en quelque chose d'autre. Dans un matériau qui cesse d'être toxique et venimeux pour le psychisme, car il est métabolisé, ayant subi une élaboration, qui puise sa source dans les forces psychiques.

Dans ce processus, un catalyseur participe au sein de ceux qui sont dotés de talent, tournant un cas de souffrance personnelle dans un matériau commun  et partagé, dépourvu de toute toxicité. Ce qui est personnel et toxique devient alors public et bénéfique. Il convient de noter ici qu’il ne suffit pas d'une simple annonce pour  rendre cela possible.
Ce livre témoigne de tout cela, ses pages fonctionnent maintenant à la manière d'un microscope ou télescope, portant à la lumière les processus qui passeraient simplement inaperçus. Avec maîtrise, cette interpénétration entre l’espace privé et public est décrite par de nombreux moyens imaginatifs, mais surtout grâce à la dimension suivante: il  s’agit de l'osmose mutuelle, qui a lieu dans la vie du protagoniste – psychanalyste, entre le matériau de la séance psychanalytique et ce que nous appelons la vie en dehors de la séance, celle de la vie quotidienne.
La vie des patients entre dans la sphère psychique de l'analyste, même au-delà de ce qu'il désire ou peut supporter. Mais l'inverse est vrai aussi, ce qui est également douloureux et parfois inévitable. Il s’agit du flot des réactions de l'analyseur mentales et émotionnelles, qui doit être stoppé ou détourné ailleurs, afin de ne pas déborder dans la session avec le patient.

Les événements courent alors des deux côtés du divan, avec un rythme passionnant et vertigineux, mais comme le dit l'auteur, "en psychanalyse, l’intérêt ne se trouve pas dans les faits, mais dans les mots et les noms." Ce qui est important n’est pas ce qui est fait, ce qui se déroule dans la vie de tous les jours, mais ce qui est dit. Bien plus, ce qui ne se dit pas, ce qui correspond à la dynamique de l'inconscient, qui attend, caché, et peut-être se jette dans la parole. Il est non seulement ce qui se passe dans la réalité extérieure, mais ce qui se passe dans la réalité psychique. Parce que cela est principalement responsable de ce que nous faisons et de ce que nous sommes.

La mort, à l'intérieur et à l'extérieur stigmatise et régle, mais en même temps, la dynamique de la vie reste, malgré les blessures, intacte, la lumière est toujours en cours. Après le travail du deuil le moi est à nouveau libre, sans être anéanti par l'ombre de l'objet perdu. Il peut de nouveau choisir, sans inhibitions et ambivalences. Le processus psychanalytique contribue à ceci, aussi bien qu’à libérer globalement la personne de ce qui le piège, en l'empêchant de vivre et de se sentir libre. Cela a l’air magique, mais ce qui semble un rêve impossible avant le processus psychanalytique, devient alors une réalité. Mais pour arriver à ce point, il faut tout un parcours.


C’est ce parcours qui est également décrit dans ce livre, agréable pour le lecteur, parce qu’il est décrit avec des mots et expressions d’une haute esthétique. Les choses les plus graves, les plus lourdes et les plus désagréables, à travers la plume de l'auteur sont dites d’une façon simple mais jamais légère, toujours délicieuse. La question de la perte transite à travers les pages et, enfin, devient une expérience qui enrichit et libère. L’ l’humour et les moments hilarants sont le constant contrepoids qui transforme le passage à travers les eaux du Styx en une agréable promenade. Mais surtout, l'humanisme omniprésent, l'amour pour l’être humain, pour ses meilleurs éléments, pour ses forces cachées que la perte mobilise, constitue le cœur de ce beau livre, comme de toute création.